Photographier la disparition du Parc Kalliste, déc 2023
(entretien par Benoît Gilles pour Marsactu)

Quel bruit fait un quartier au moment où il disparaît ? Y a-t-il un brame du béton ? Un hurlement qui s'échappe de l'amoncellement de gravats ? Les photos en noir et blanc d'Étienne de Villars tentent de donner à voir ce qui s'échappe : la disparition du parc Kalliste. La grande copropriété de Notre-Dame-limite, tout au nord de la Marseille, fait souvent tapage. Marsactu a rendu régulièrement compte des tensions liées au squat massif du bâtiment H, son évacuation pendant l'hiver 2017, puis les mêmes en plein été 2022 bâtiment G.

Entre les deux, le bâtiment B a disparu. Grignoté par des engins de chantier, en quelques semaines à peine. Ici, le photographe Etienne de Villars entre en scène. En 2019, il vient de quitter Paris, son métier de matinalier à TSF Jazz radio. La photographie apprise en autodidacte est en train de devenir son métier, après avoir tiré le portrait des musiciens qu'il affectionne. "Quand je visite une ville, j'ai l'habitude d'aller explorer ses frontières, raconte-t-il. J'ai donc débarqué à la Solidarité, tout au bout de la ligne 97, au nord de l'hôpital Nord". Le jeune photographe commence à marcher, à suivre les "lignes de désir", ces sentiers dessinés dans la colline par les allers et venues des habitants. Dans le vallon en contrebas, il découvre la copropriété décatie du parc Kalliste.

"Je tombe sur ces grandes barres effilées, assez anciennes, très abîmées, avec une texture. Cela me faisait un peu peur". Appareils argentiques en bandoulière, il s'aventure. "Je n'avais pas de projet, si ce n'est comprendre la ville en suivant mon instinct." Très vite, des relations se nouent. Des familles ouvrent leur porte.


"Cela devient un projet en 2019 quand ils commencent la démolition du bâtiment B. J'ai réalisé ce que cela pouvait être de voir son habitat disparaître, être grignoté. C'était à la fois extrêmement violent et silencieux". En miroir de cette destruction, il va à la rencontre des jeunes qui souvent zonent au pied des barres, "en cherchant à témoigner de leur quotidien au moment où on détruit le monde de leur enfance".

Dans le même temps, il pousse la porte de la galerie Zoème, en centre-ville, avec un carton plein d'images. Soraya Amrane le reçoit, prend le temps de toutes les regarder. "Ce n'est que dans un second temps, qu'elle m'a dit qu'elle avait grandi à proximité de Kalliste". "Honnêtement, j'aurais publié son travail, s'il avait concerné une cité de la banlieue de Toulouse, complète l'éditrice. C'est le sujet qui m'intéresse : donner une figure à cette population mise sous silence. Montrer ces cités qui vont être détruites, parce qu'elles sont le lieu de vie des petites gens".

Cela donne un livre à la typographie soigné et à la couverture bistre, "comme une écorce d'arbre ou de la terre", dit Soraya Amrane, en avant-goût de la rencontre qui aura lieu, le vendredi 8 décembre à la galerie. Entre deux voyages en Algérie où il photographie le désert dans le cadre d'une bourse de l'agence VU, nous avons choisi de lui faire commenter cinq images issues de son livre. (...)




Debout, face à l’effondrement, jan 2024
(Article par Fabien Ribery dans l’Intervalle)


Ces lieux, promis à la démolition, ce sont les leurs. Ces habitants, bientôt privés de racines, ces jeunes jouant simplement en ces espaces devenus indésirables, sont des veilleurs.

Avec Sur une voie silencieuse, Etienne de Villars rend hommage à la jeunesse de la cité du Parc Kalliste à Marseille, le photographe ayant entamé son travail de mémoire et d’alerte après l’annonce de la destruction du bâtiment B. (...)

Bien loin des clichés sur la violence des quartiers périphériques, Etienne de Villars regarde les jeunes dans leur environnement quotidien, seuls ou en bande, en discussion ou en mouvement, attendant sous le soleil ou se déplaçant dans une nature à la fois minérale et bucolique.

De petit format, les photographies sont des aperçus sans aucun voyeurisme de la géographie des bâtiments et des corps occupant le territoire.

Sur une voie silencieuse propose une alternance de portraits et de paysages, un dialogue entre le béton et le végétal sous un ciel méditerranéen puissant.

Comportant beaucoup de blanc, ce livre invite chacun à l’introspection, et à dépasser les jugements hâtifs sur la vie des habitants des grands ensembles.

Il y a des sentes et des roches, des taillis et des escaliers en ciment.

On pourrait quelquefois se croire à Cuba ou à Casablanca, mais l’on est à Marseille, d’une ville-monde à nulle autre pareille.

Sur une voie silencieuse est une œuvre portée par un sentiment général de dignité humaine et attentif à la singularité des personnes qu’il représente.

Les grues de démolition piquent tels des vautours les étages supérieurs d’un immeuble, les vies vont se réinventer.

Panta rei, disait le vieil Héraclite, oui, mais, dans la recomposition des existences, un livre, frêle esquif mémoriel, n’oublie pas.